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La quatre-vingt-dix-neuvième nuit

Poème de Nicole Desrosiers © 1989

Concept photographique et musique de Claude Frenette

Assisté de Manon Rolin, artiste peintre et d'une artiste anonyme.

La quatre-vingt-dix-neuvième nuit

Première partie : le désir

 

ni plus ni moins

que les neumes échappés comme des baisers

qui s'immobilisent

et les doigts que je presse

et l'oiseau bref

 

des élans d'amour où des thuriféraires glabres

se courbent devant

l'ange

aux lèvres de pierre obscènes

 

dans ce jardin obsolescent

nul crépuscule jamais

ne pressent

l'ampleur du risque

aux abords de la chair

 

à la quatre-vingt-dix-neuvième nuit

nous quitterons le jardin

seules resteront les miettes de transparence

qui s'échappent des orbites

en faisceaux

 

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Dans le miroir

Deuxième partie : le rêve

 

Mes paupières luttent contre l'image.

Non.

Je ne veux pas naître.

Poings serrés contre la farce.

 

Dans l'attente fluide du voyage

le présent flotte.

Toute étoile possible.

Je suis l'élue.

 

Le temps insidieux

glisse entre les châteaux

de l'enfance.

S'écroulent les cages

des clochers.

Tout ce silence.

 

Que je me change en pluie.

Le printemps questionne le ciel

Sous l'averse,

l'amante en robe blanche

pose son pied sur l'herbe

et rit.

 

Et la nuit jette

des brassées de rêves confus.

Noirs pressentiments des arbres

qui s’inclinent.

 

(troisième nuit)

Après trois jours de silence:

révéler le rêve.

L'eau préside à la naissance.

Front lisse; colère tue.

L'harmonie du ciel et de la terre

abuse l'homme

jusqu'au tirage au sort.

 

Toujours l'impair.

À quitte ou double.

 

L'anneau brille sur le feutre

et la fumée

se tord en spirales

parmi la transparence

des pierres.

 

Passe et manque.

 

Engoulevents échappés en mille éclairs

du tunnel de la nuit,

les feuilles enivrées vacillent.

Quelle résistance opposer

aux impératifs des ténèbres.

 

N'est exempt de douleur

que celui dont le regard

fixe sa propre rencontre.

 

Que celui qui remet de l'ordre

dans l'espace

qui le submerge.

 

(cinquième nuit)

Main ouverte contre le mauvais sort.

"Cinq dans ton oeil".

Au centre de la création inachevée,

mon coeur est maître de la danse.

Jeudi.

Il pleut.

 

Un enfant se cache

derrière une glace

sans tain.

 

Dans ce miroir désabusé,

les mots se cognent aux rêves.

Détournez-vous

jusqu'à l'obsession.

 

Nos yeux se portent loin.

Parmi les fins possibles,

l'angoisse impose au vide

sa forme et ses couleurs.

 

L'oiseau de mort

dessine de son aile

le contour obscène

de l'indifférence.

 

Au-delà de l'image:

les hurlements muets.

 

La mort se dédouble.

Le mot nomme la vie.

 

(huitième nuit)

Quatre frères.

Dans le miroir:

quatre soeurs.

Le verbe s'enroule

aux bras dans l'espace.

 

Je me couche enfin sur la terre.

Le rocher peut s'écrouler

mille fois sur elle.

Est-ce donc ma première mort?

Ou ma treizième?

Le temps comme un cercle

impitoyable

tourne sur son axe de silence.

 

(treizième nuit)

Cette soif

et douze convives encore.

Et moi.

Quand donc s'achèvera

la nuit?

 

Toute heure a sa quiétude.

La pointe des pierres

n'inflige à l'eau de la rivière

aucune amertume.

Ni le vent d'aujourd'hui

qui dicte les réminiscences.

Dans la hiérarchie des rêves

il y a

le vide serein.

 

(vingt et unième nuit)

Mort absolue.

Mort parfaite.

Le comble de la folie

du monde.

O sagesse!

 

Rien ne m'advient,

l'hier confondu à l'herbe

qui craque

sous la lune.

La nuit s'enfonce

à grand renfort

de cris avalés.

 

Ainsi te nommes-tu

Ami

et te dérobes.

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En forme de cage

Troisième partie : le désespoir

 

Surnage une illusion

en forme de cage

à moitié crevée

à demi molle.

Au réveil

le regard alterne

entre le mensonge

et le retour à la nuit.

Ne consultez pas les rêves.

Toute indulgence en miettes

y permute les espoirs,

faux-semblants hilares

où se maquillent trop d'abandons.

 

Vanité de l'esquive: feinte naïve devant l'obscur.

Tant de paroles falsifient les couleurs.

Le doux et le noir alliés dans l'oeil.

 

Ah! les belles noces

où s'attardent les mannequins

indifférents.

Leurs ongles tracent sur le lin

des itinéraires de hasard.

Griffure absurde de la chair.

Masque ballant.

 

Le même pas: le même point au coeur.

Dans le silence d'une forêt     

austère.

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